Puisque rien n’est jamais assez bien pour les autres, autant les faire pour soi-même : ça, c’est chose dont Li Ling a conscience depuis un moment – grandir dans l’ombre d’un petit frère surdoué y est sûrement pour quelque chose. Elle est comme ça, Li Ling, elle vit pour et par elle-même. Certains la disent frivole, un peu superficielle, avec ses sourires charmeurs et son air de se ficher de tout. Li Ling aime la vie, aime se sentir jeune et jolie, plaire, danser sans retenue malgré son manque de talent, donner l’impression qu’elle se moque du qu’en dira-t-on – alors qu’il ne faut pas se fourvoyer : elle est comme beaucoup là-dessus, à sentir et subir le regard des autres sur ses choix et actes. Elle les connaît, les rumeurs qui courent sur elle ; une trentenaire encore un peu trop jeune dans sa tête, un peu fille facile de par son goût pour la gente masculine, une boule d’énergie tactile et affectueuse, expressive et extravagante, qui quand elle n’ouvre pas sa bouche pour se défendre dessine des caricatures de ce qu’elles ne supportent pas. Li Ling se dit que des fois, les gens ont un peu raison ; et puis elle se rappelle qu’elle est bien dans ses pompes à être comme ça, et qu’elle perdra sûrement plus à être ce que les autres attendent d’elles.

Li Ling joue avec la vie, assume ses envies, même celles qu’elle sait mauvaises pour elle. Li Ling a toujours convoité ce qui n’est pas bon pour elle, ce qui n’est pas fait pour elle, ce qui est inatteignable. Flirter avec l’impossible la frustre certes, mais la grise, la fait se sentir vivante, pleine.  Ce qu’elle ne peut pas avoir, personne ne l’aura, elle se bat bec et ongles, et maudira sur cent générations si on lui arrache l’objet de ses convoitises.

Un peu égoïste aussi. Pas dans le sens où Li Ling n’est pas prêteuse – elle l’est dans les limites du sens commun. Mais Li Ling, on l’a dit : elle fait les choses pour elle avant tout, comme elle l’entend, quitte à ce que ça soit au dépend des autres. Elle a trop souffert à se limiter et à trop penser aux autres. Elle pense à elle avant tout. Et pour les autres… Elle tente de les préserver, tant bien que mal, quitte à cacher la réalité. Une vérité non sur ne peut pas faire de mal après tout… ?