Parfois, la nuit, lorsque toutes les lumières sont éteintes et que plus personne ne parcourt les longs couloirs du domicile familial, Jia Li aime allumer quelques bougies parfumées et s'installer sur la terrasse, une clope entre deux doigts et un bon café fumant dans l'autre main. Là, simplement assise en tailleur à même le plancher de la terrasse, regardant l'immensité du ciel étoilé. Jia Li, bien que très peu adepte des sciences "obscures", trouve un certain intérêt à lever la tête pour observer ce tapis tâché de lumière. Elle y trouve une certaine sérénité, des réponses à des questions qu'en temps normal elle ne se poserait jamais. La solitude, c'est quelque chose qui se fait très rare dans son quotidien. A passer ses journées à l'hôpital où tout le monde court, crie, s'inquiète pour la vie d'autrui, elle savoure toujours ces quelques soirées de répit. Et puis parfois, elle se demande "pourquoi elle" ? Pourquoi est-elle née la première, alors que deux frères et une sœur ont suivi après elle ? Pourquoi doit-elle toujours donner l'exemple et porter l'honneur de sa famille sur ses épaules ? Pour Xian, sa ville natale qu'elle porte dans son cœur. Elle est faible, Jia Li, quand elle regarde les étoiles. Parce qu'elle a l'impression qu'une entité supérieure l'observe de là-haut et se permet de la juger. Et parce qu'elle a peur que tout ce pour quoi elle se bat n'en vaille pas la peine. Pourtant, elle a toujours grandi avec cette perspective qu'un jour, elle reprendra le flambeau de son père bien-aimé. Jamais, dans son éducation, il n'y a eu de la place pour des "peut-être", pour des "on dit". Tout était clair et net. Jia Li allait devenir la prochaine dirigeante du secteur médical, et tout en grandissant, son cœur d'artichaut s'est rétréci pour ne laisser place qu'à du travail rigoureux et un jugement sans faille. Aujourd'hui, bien que cette pression soit beaucoup plus supportable pour elle car ayant énormément mûri, Jia Li se pose toujours cette même question: un jour, pourra-t-elle penser à elle ? A trente ans passés, elle a un rêve. Elle a un rêve qu'elle n'est même pas certaine de pouvoir ne serait-ce que le frôler. Son petit cœur de glace, si rarement convoité, a besoin de trouver son âme sœur. Elle veut se marier, Jia Li. Elle veut porter la vie, Jia Li. Mais elle doit tout d'abord porter l'entreprise sur ses épaules, offrir un avenir confortable à ses frères et sa sœur, rassurer son père qui se rapproche petit à petit du trépas. Jia Li, quand elle regarde le ciel le soir, à peine éclairée par des bougies parfumées, a vraiment l'impression de se sentir elle-même quand elle peut penser à elle-même. Et les bras d'un amant, aussi forts et doux sont-ils, ne peuvent que la rassurer. Parce que malgré son apparence si austère et déterminée, Jia Li reste une femme qui a un rêve. Un rêve que les gens du bas peuple connaissent déjà. Trente ans, et rien du tout, si ce n'est richesse, talent et avenir prospère. Mais le bonheur, lui, est ailleurs. Il est ailleurs, elle le sait, et elle croit qu'en regardant le ciel chaque soir, une de ces étoiles saura le lui apporter. Des astres, en voilà des centaines là-haut. Mais des désastres, eux, en voilà des milliers si elle suit la voie de son cœur. Alors elle se tait. Elle ne prie pas, trop pragmatique pour cela, mais elle espère, discrètement, qu'un jour elle pourra combiner l'héritage avec l'accomplissement personnel. Et à force de trop regarder le ciel, sa cigarette se consume, devient cendres, comme si le cours de sa vie fuit au même titre que ces cendres se dispersant dans l'air. Le temps file, il court, jusqu'au jour où la machine saura devenir humaine. Car son humanité, elle l'a perdue dans le creux de ses propres yeux.