Aussi loin qu'elle s'en souvienne, Li Ling n'a comme premier souvenir qu'un homme assez âgé, avec une blouse blanche et qui lui parle sans qu'elle ne comprenne quoi que ce soit. Que voulait-il qu'elle fasse avec ces objets aux formes bizarres? Il semblait vouloir lui faire comprendre comment ça marchait, mais elle n'arrivait pas à assimiler ce qu'il lui racontait. C'est comme cela qu'elle portait un des cubes à sa bouche et commençait à le mâchouiller tout en regardant autour d'elle sans inquiétude aucune, seulement de la curiosité et de la joie. Mais voilà qu'il lui retirait l'objet couvert de bave de la bouche avec empressement alors que le regard déçu de ses parents se posait sur le dos de la petite fille assisse par terre. Les yeux ronds de l'enfant commençait à se mettre à briller avant qu'une larme ne s'en échappe. Puis une autre. Le médecin se levait et la prenait dans ses bras en lui parlant encore, mais elle ne comprenait pas. Pourquoi est-ce qu'il est aussi méchant avec elle au point de lui prendre son jouet?
Sans même s'en rendre compte, elle était dans les bras de sa mère qui tentait de la réconforter malgré sa déception et sa tristesse. Comme pour ne pas arranger les choses, les petits doigts de l'enfant s'agrippaient dans les cheveux ondulés de sa génitrice et les tiraient. Sans doute un signe avant coureur de sa nature insouciante qui se reflètera dans les années à venir. Mais ce qui était sûr, c'est qu'en plus d'être déçue, sa mère commençait à s'énerver et décidait de la confier à son mari réticent de prendre la petite en pleure dans ses bras. De retour chez eux, ce n'était que le début d'une vie difficile pour Li Ling.
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« Papa ! Papa ! Regarde, j'ai eu une bonne note en art aujourd'hui ! » s'exclamait joyeusement l'enfant en agitant un papier sous le nez de son père. Son petit cœur battait la chamade à la simple idée de faire plaisir à son paternel et elle sautillait sur place, sachant qu'il était heureux dès que son grand frère lui montrait ses bons résultats. Sauf qu'il ne réagissait pas. Peut-être qu'il ne l'avait pas entendue ? Tentant d'avoir son attention, Li Ling attrapait le tissu de sa veste et tirait doucement dessus en murmurant doucement: « Papa.. », l'air soucieuse. Après un geste assez brusque pour la faire lâcher, son père tournait enfin son regard terne vers elle. Enfin ! Elle a son attention.
Un grand sourire aux lèvres, elle lui montrait ses notes avec fierté. Il sera content pas vrai ? Les pupilles noires de son père se posait sur le papier et un fin soupir passait ses lèvres, assez discret pour qu'elle ne le remarque pas, mais assez fort pour extérioriser son agacement. Elle ne sera jamais aussi doué que lui. « C'est bien Li Ling. » Étrangement, la réponse semblait beaucoup moins enthousiaste et beaucoup plus sèche qu'avec son frère et elle se demandait ce qu'elle avait fait de mal pour l'énerver. D'ailleurs, elle n'avait droit qu'à ces mots là avant qu'il ne retourne à son travail une fois le relevé de notes posé sur son bureau sans aucun intérêt. Déçue et triste, c'est en traînant des pieds qu'elle retournait dans sa chambre, la tête basse et le cœur serré.
Mais elle n'abandonnait pas, à chaque bon résultat qu'elle avait, elle allait à ses parents, le sourire aux lèvres et une sorte d'excitation étrange qui lui prenait le ventre. Cette fois ils seront fiers de moi pas vrai ? Mais petit à petit, face à leur indifférence, la chinoise finit par se résigner. Jamais il ne lui porteront d'intérêt. Ce n'est qu'à la fin du collège qu'elle ne le compris. Il aura fallut entendre ces mots sortir de la bouche de sa mère pour comprendre qu'elle ne représentait qu'une charge pour eux. Que jamais ils ne seront heureux de ce qu'elle pourrait faire. Il n'aura fallut qu'un vague: « Peu importe ce qu'elle fait plus tard, ce n'est pas important pour nous. » devant le professeur de la jeune fille lors d'une réunion pour qu'elle décide de n'en faire qu'à sa tête.
Depuis ce soir-là, Li Ling faisait la guerre à ses parents. D'abord en se décolorant les cheveux, puis en sortant le soir sans les prévenir. Elle revenait de plus en plus tard mais même lorsqu'elle croisait ses parents qui venaient de se réveiller, ils ne s'inquiétaient pas pour elle et faisaient comme si de rien n'était. Comme si tout allait bien dans le plus beau des mondes. Après tout, leur fils était intelligent, doué, sage, pourquoi s'embêter pour une fille qui n'était pas aussi talentueuse que lui? Li Ling ne parlait pratiquement plus à ses parents mais aucun manque ne se faisait sentir. Si elle n'avait pas de famille chez elle, elle pouvait toujours en trouver une ailleurs. Une meilleure même. Comme on dit, on ne choisit pas sa famille mais on peut choisir sa famille de cœur, ses amis qui seront toujours là pour vous.
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À mesure que les années passaient, Li Ling se sentait de plus en plus libre, de plus en plus heureuse et épanouie. Notamment lorsqu'elle pu quitter le nid familial pour son propre appartement. Bien qu'il était petit et avec un chauffage défectueux qui rendait sa vie impossible en été, c'était son appartement. Dans lequel elle pouvait peindre comme elle le voulait, dans lequel elle pouvait manger et bouger comme elle le souhaitait sans avoir en permanence l'ombre de son aîné au-dessus de la tête. La jeune femme rencontrait de plus en plus de personnes avec qui elle adorait s'amuser et passer de temps.
Jusqu'à ce soir où elle rencontrait une personne qu'elle ne voulait pas comme ami. Cet homme avec lequel elle semblait avoir beaucoup en commun et qui pouvait lui donner des étoiles dans les yeux juste en étant à ses côtés. Li Ling se mit à faire plus attention à elle encore, à tout faire pour attirer son regard et ses attentions. Dès lors qu'elle parvint à l'attirer à elle, s'en suivit des soirées à discuter, à faire connaissance, à rigoler, à sortir, à tout simplement profiter des joies que peuvent apporter les premiers amours.
Plus le temps passait et plus il venait chez elle ou inversement, l'artiste s'imaginait déjà pouvoir vivre avec lui dès qu'ils auraient une situation stable. Son imagination beaucoup trop fertile imaginait déjà les mois et les années passer ensemble, à rigoler, à s'aider, à prendre soin l'un de l'autre. Elle avait l'impression de flotter au-dessus de tous les problèmes de la vie jusqu'à ce jour où elle reçu une gifle qui la ramenait à la réalité. Et il faut croire qu'elle fut très douloureuse pour l'étudiante qu'elle était à cette époque, encore innocente et insouciante des aléas de la vie. Tous ses rêves et ses espoirs venaient d'être briser, son innocence venait de disparaître définitivement de son jeune esprit et la confiance qu'elle accordait sans réfléchir voyait ses critères s'élever soudainement. Plus jamais elle ne saurait refaire confiance de cette façon à quelqu'un. Il était le premier et le dernier à profiter de l'enfant qu'elle était.
Mais plus qu'un brutal changement mental, c'est une douleur aigu dans sa poitrine qui se faisait ressentir. Une blessure qui sera difficile à soigner, un trouble qui restera ancré quelque part dans son esprit peu importe le nombre d'années qui peuvent passées, une douleur qu'aucun remède autre que le temps ne peut soigner. Cette douleur se verra principalement dans ses tableaux durant cette période, la peinture étant le refuge et le moyen d'expression le plus simple pour la chinoise.
Ce n'est que plusieurs mois après ce traumatisme que Li Ling réussit à trouver la paix intérieure dans une moindre mesure. Elle continuait à sortir, à rencontrer du monde mais elle ne s'attachait plus autant qu'avant. Elle ne faisait plus autant confiance qu'avant. Elle prenait du bon temps, purement et simplement, sans se prendre la tête, sans se demander ce qu'attendait la personne face à elle. Ses œuvres ne reflétaient plus ce mal-être et cette souffrance qu'elle n'arrivait pas à contenir à l'intérieur, elles retrouvaient peu à peu des connotations d'espoirs, de bonheur, toutefois ses peintures pouvaient montrer un côté plutôt sombre par moment, signe que rien n'est tout blanc ou tout noir dans la vie.