C'est à la fin de l'année 1992 que ma mère m'a mis au monde. Je suis arrivé comme un flocon de neige sur une montagne, le 25 Décembre, à Xian. Ma mère est Japonaise, voilà pourquoi je porte le prénom Tomo : en l'honneur de son propre père. Quant au mien, il était Chinois, et il était militaire dans l'armée de l'air - plus exactement pilote. Autant vous dire que lorsqu'il n'était pas en mission, j'ai subi une éducation plutôt stricte à laquelle ma mère, employée à l'hôtel du Lotus Rouge, tentait de m'offrir quelques privilèges. Parfois, je m'en souviens, elle parvenait à me rapporter un petit savon.

Et puis, j'ai grandi. J'étais plutôt un enfant sage, passe-partout, qui ne bougeait pas beaucoup à l'école ou à la maison. Cependant, j'ai longtemps nourri seul ma passion pour la musique, ou plus particulièrement le chant. J'apprécie la douceur des mots, la tendresse et la caresse des phrases chantantes entre mes lèvres. Mais je ne l'ai jamais dit à personne, me contentant d'être comme n'importe quel autre enfant : dénué de tout intérêt pour n'importe quel adulte l'entourant.

C'est quand j'allais sur mes quinze ans que mon père est parti en mission ; ce fut sa dernière car il n'en revint pas. Son avion a été abattu par les ennemis, d'après ce que l'on nous a rapporté, à ma mère et à moi. Aujourd'hui encore, elle porte le deuil de son mari disparu, mais, de mon côté, je ne m'en suis bizarrement pas tant senti si coupable que je l'aurais du. Lui qui souhaitait faire de moi un "vrai homme", m'inscrire dans l'armée pour suivre ses traces... J'étais débarrassé de ce côté-là trop paternel pour moi. A l'inverse, ma mère m'a laissé le choix, mais j'ai décidé par moi-même de prendre sa suite à mes seize ans.

Le Lotus Rouge m'a toujours attiré. Ses lumières, ses gens qui allaient et venaient sans discontinuité, ses somptueuses décorations... Pour quelqu'un comme moi qui aimait la beauté en règle générale, je voulais plus que tout pénétrer à l'intérieur de ces coulisses et y découvrir ce dont cet établissement recelait. Malheureusement, j'ai vite déchanté, me rendant compte que c'était toujours compliqué de se faire une place dans la société avec un caractère aussi effacé que le mien.

Au début, on m'a cherché des ennuis. On m'a rabaissé dans mon travail, pris pour une femme, l'une de ces "jeunes pousses" et jeté en pâture à des hommes plus matures qui avaient des envies à satisfaire. Mais je m'en suis sorti parce que j'ai gardé la tête haute pour prouver à tout le monde que j'étais fort derrière mon apparence candide. Je me suis donc faufilé, malin, répandant des rumeurs afin que les attentions finissent par se détourner de moi. Aujourd'hui, on ne se pose plus trop de questions par rapport à moi, et heureusement.

Épanoui dans mon travail, cela fait désormais neuf ans que je suis l'un des nombreux employés de l'hôtel. Il m'arrive de chantonner, d'ouvrir des portes dans mon cœur aux personnes qui en valent vraiment la peine. Je tente d'être le plus souriant et agréable possible, conservant l'espoir secret qu'un jour je parviendrais à sortir pour de bon de cet établissement et de vivre ma vie comme chanteur.